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UCIL - L'Arrière cour - ZFE : les écolos font-ils fausse route ?

 

« Nous croyons en l’intelligence collective ! », scande, lors d’une conférence de presse liée à l’extension de la ZFE, Laurence Boffet, vice-présidente de la Métropole en charge de la participation citoyenne, aux côtés des élus de la Métropole désireux de bannir le diesel de la périphérie lyonnaise d’ici à 2026.

 

Les zones à faibles émissions sont obligatoires depuis la fin de 2020 en France pour toutes les villes de plus de 150.000 habitants qui dépassent les normes de qualité de l’air. À Lyon, la ZFE a été instaurée en 2019 par David Kimelfeld, l’ancien président de la Métropole. Son périmètre couvrait alors les communes de Lyon, Villeurbanne, Vénissieux, Bron et Caluire. Dans cette zone, les « poids lourds » et « véhicules utilitaires légers destinés au transport de marchandises » de Crit’Air 4 et 5 ont été interdits d’accès en 2020.

 

Dans la continuité de son prédécesseur, Bruno Bernard a décidé d’aller plus loin en élargissant le périmètre de la ZFE, qui sera défini fin février à la suite d’une concertation avec « toute personne qui habite, travaille ou circule régulièrement ou occasionnellement dans la ZFE ». « Ceux qui souffrent de la pollution sont les personnes qui habitent à proximité des grands axes de circulation », a-t-il expliqué à l’issue d’une conférence de presse. « C’est pourquoi nous souhaitons élargir le périmètre. »

 

Afin de renforcer son efficacité, la Métropole de Lyon a par ailleurs décidé d’élargir la ZFE aux véhicules des particuliers. En 2022, la ZFE s’appliquera ainsi aux véhicules des particuliers classés Crit’Air 5 ou non classés sur le périmètre actuel. L’objectif affiché par la majorité est d’arriver à un bilan « zéro véhicule diesel » d’ici à 2026.

 

« Moins de 90 participants en visio »

Cette mesure contraignante suscite déjà de vives réactions, notamment au sein des principaux groupes d’opposition de la Métropole, qui la jugent « exclusive »« inégalitaire » et « discriminatoire ». « Dans cinq ans, 80% du parc automobile en circulation sera interdit dans la métropole ! », fustige Christophe Geourjon (UDI) lors d’un entretien accordé à L’Arrière-Cour. Même constat pour Yann Cucherat (LREM), qui nous a confié regretter des mesures trop « brutales » : « D’ici à 2026, les usagers n’auront pas le temps de se munir d’une nouvelle voiture. Ce sont les moins aisés qui vont en payer le prix, encore une fois. » Avec la concertation, il craint également une « manipulation politique » et appelle à la plus grande des vigilances : « Je préfère rester prudent. Les décisions qui ressortent de la concertation ne reflètent pas toujours la voix des citoyens. La première réunion de la concertation s’est tenue en visio. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique pour donner la parole à l’ensemble des habitants… »

Une réflexion partagée par David Kimelfeld (LREM), qui reproche à l’exécutif une concertation encore « trop exclusive » : « À la concertation en visio sur la ZFE lundi, il y avait moins de 90 participants. C’est un peu juste pour un sujet de cette ampleur. La visio n’inclut pas forcément les catégories sociales les plus pauvres et les retraités, par exemple. Or, ce sont eux qui vont le plus en pâtir, il faudrait peut-être penser à les consulter. La Métropole nous a vendu des réunions publiques, des enquêtes… Pour l’instant ce n’est pas le cas, je demande à voir pour la suite. » Lors de la première réunion de concertation, Christophe Geourjon a d’ailleurs demandé un référendum pour que les mesures soient plus « justes », une proposition rejetée par la majorité verte de la Métropole. « Il n’a manqué qu’une voix pour qu’elle soit adoptée », précise-t-il.

Pour faire face à ces revendications, des solutions alternatives sont attendues à la fin de la concertation. Parmi elles, « une amplification de la tarification solidaire du service TCL allant jusqu’à la gratuité pour les usagers les plus précaires » et « un tarif occasionnel avantageux pour les familles avec enfants », mais aussi des « solutions d’autopartages » et de « covoiturages ». « Nous ne laisserons personne dans le besoin, chacun doit pouvoir être informé sur le projet de la ZFE et orienté vers les solutions les plus pertinentes ou les aides dont il peut bénéficier », tient à rassurer Jean-Charles Kohlhaas, vice-président délégué aux déplacements, aux intermodalités et à la logistique urbaine.

Des alternatives financières pourraient aussi être envisagées, même si la Métropole « ne pourra pas offrir une voiture à tous ses habitants », a prévenu Bruno Bernard, qui insiste dans un entretien à Nouveau Lyon sur les microcrédits à 5.000 euros annoncés par l’État : « On a des voitures Crit’Air 1 essence d’occasion à partir de 6.000 ou 7.000 euros qui vont baisser de prix au fur et à mesure de la mise en place de la ZFE. (…) Le microcrédit peut faire partie des solutions de financement, surtout s’il est rendu facile d’accès et quasiment sans frais par l’État et la Métropole. » On note au passage qu’il insiste sur les véhicules d’occasion, manière d’anticiper le reproche d’une mesure censément écologique mais avec des mesures d’accompagnement qui auraient pour effet de financer l’industrie automobile.

 

L’exemple venu d’Italie et d’Espagne

Plusieurs universitaires interrogés par L’Arrière-Cour ne sont toutefois pas convaincus par les mesures annoncées. « Si la Métropole ne propose pas des alternatives crédibles et un accompagnement aux citoyens pour, notamment, changer de véhicule, le risque est grand de nous retrouver confrontés à l’émergence d’un nouveau mouvement de contestation, d’une magnitude qui pourrait tout à fait ressembler à celle des gilets jaunes », prévient Pierre Leviaux, économiste et chercheur contractuel au CNRS. Tout comme Olivier Klein (enseignant-chercheur et directeur adjoint du Laboratoire d’aménagement d’économie et des transports, le LAET) et Francelyne Marano (professeure émérite à l’Université de Paris et spécialiste de l’impact des polluants atmosphériques sur la santé), que nous avons également interrogés, Pierre Leviaux préconise plutôt de miser davantage sur la piétonnisation des centres-villes, à l’image de villes comme Florence, Rome ou encore Pontevedra en Espagne.

En Italie, les zone a traffico limitato (ZTL) ont été créées voici une trentaine d’années afin de préserver les monuments historiques des centres-villes. Un dispositif plus « égalitaire pour ses habitants », selon Olivier Klein, puisqu’il permet de sélectionner les automobiles non pas en fonction de leur niveau de pollution mais de leur usage. « Seuls les riverains et les véhicules enregistrés sont autorisés à y circuler », détaille Olivier Klein. « C’est une politique de restriction d’accès au centre-ville qui propose une alternative de déplacement relativement facile puisqu’il est possible de parcourir le centre historique à pied. Cette solution, bien que pas totalement égalitaire, me semble déjà moins discriminante que la ZFE. Elle permettrait de placer tous les habitants sur un pied d’égalité en n’imposant pas de changement de véhicule, et de mettre en place un contrôle efficace tout en offrant d’énormes souplesses pour la gestion des ayants droit.

Si les ZTL présentent des périmètres moins vastes que la ZFE prévue par la Métropole lyonnaise, elles n’en restent pas moins importantes. À Bologne, par exemple, elle concerne l’ensemble du centre historique, enserré entre les boulevards circulaires. Ces zones nécessitent en outre une offre très étoffée de transports alternatifs en centre-ville : « Pour qu’un dispositif fonctionne, il faut installer des parkings relais à l’entrée des villes, mais aussi déployer une offre de transport en commun de qualité », souligne Francelyne Marano. Et c’est justement ce qui a été pensé à Pontevedra avec la mise en place d’immenses « parkings de dissuasion », entièrement gratuits pendant 24 heures, d’un bout à l’autre de la ville. Intra muros, tout est pensé pour limiter drastiquement le trafic routier. La vitesse y est limitée à 20 km/h, voire à 10 km/h dans le centre historique où seuls les véhicules des professionnels, des résidents et des personnes handicapées sont autorisés à circuler. On ne peut stationner plus de 15 minutes.

Côté pollution, ce dispositif serait aussi plus bénéfique pour l’environnement. « Les ZFE sont avant tout un dispositif de réduction de la pollution et pas prioritairement un dispositif de réduction des émissions de gaz à effet de serre », indique Pierre Leviaux. « La ZFE peut avoir des effets contradictoires, puisqu’elle peut retirer de la circulation des véhicules polluants mais relativement peu émetteurs de GES, et à l’inverse laisser circuler des véhicules peu polluants mais fortement émetteurs de GES. »

La ZFE, contrairement à la méthode italienne, ne vise donc pas à réduire le nombre de voitures. « L’avantage de la ZTL par rapport à la ZFE, c’est qu’elle joue à la fois sur la pollution et sur les émissions de gaz à effet de serre, là où la ZFE pénalise davantage les plus modestes, qui possèdent les véhicules les plus âgés et les plus émetteurs », ajoute Pierre Leviaux. Une analyse confirmée par Francelyne Marano qui préconise, comme à Rome, la création de zones sans véhicule. « Il est beaucoup plus agréable, en termes de qualité de l’air, de se balader à Rome où la voiture est totalement interdite en centre-ville, qu’à Lyon ou à Marseille. »

Selon une étude publiée par l’ADEME en septembre 2020, la ZFE ne peut constituer à elle-même une solution aux problèmes liés à la qualité de l’air et doit s’inscrire dans le cadre d’actions plus larges. A contrario, l’étude de la zona bajas emisiones (ZBE) de Pontevedra présente une baisse des émissions de CO2 de 60%, depuis son instauration en 1999. « Pontevedra est la preuve qu’une ville relativement importante peut vivre presque sans voitures ni transports en commun, en favorisant la marche et les modes doux », relève Sonia Lavadinho, spécialiste de la mobilité durable au Centre de transports de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, dans une interview accordée au Monde. Des efforts qui auraient d’ailleurs porté leurs fruits puisque Pontevedra se classe, depuis 2019, parmi les rares villes qui respectent les limites de pollution fixées par l’Organisation mondiale de la santé.

 

Piétonniser plutôt qu'interdire ?

Piétonniser plutôt qu’interdire les (vieilles) voitures polluantes ? À la Métropole, la ZFE est clairement abordée avec davantage d’ambition que la piétonnisation. « La ZFE est inscrite dans la loi, nous sommes obligés de l’instaurer », résume ainsi le service presse. « La décision de créer des zones piétonnes revient aux communes. C’est aux communes d’en discuter avec nous. »

À Lyon, de petites zones piétonnes ont été créées, comme Gilbert-Dru (7e) et Charles-Péguy (8e), mais aussi dans le quartier de la Confluence. Des expérimentations ont été menées le week-end en Presqu’île et dans certains quartiers. Une nouvelle concertation sera lancée d’ici à la fin de l’année pour définir le périmètre d’une nouvelle zone piétonne en centre-ville. Deux dispositifs pourraient cohabiter : des secteurs intégralement piétonniers et des zones à trafic limité, permettant la circulation des riverains et gardées par des bornes. Cependant, la piétonnisation ne concernera certainement pas les grands axes de passage et a fortiori les quais du Rhône et les berges de Saône. « Cela demanderait un investissement et des infrastructures trop importantes », estime ainsi le conseiller régional écologiste Axel Marin. « On ne peut pas mettre en place des parkings relais à chaque entrée de la ville. » De plus, pour Valentin Lugentrass, adjoint au maire de Lyon en charge de la logistique urbaine et des espaces publicsla piétonnisation de la ville de permettrait pas de réduire significativement la pollution de l’air, car « les zones à trafic limité offrent encore à beaucoup de gens la possibilité de circuler avec des dérogations ». Pour lui, les deux dispositifs sont « complémentaires » et « non dissociables »« Ces deux outils assemblés me semble très intéressants. La ZFE contribue à améliorer la qualité de l’air, et la piétonnisation à apaiser les quartiers en termes de nuisances sonores. »

ZLT ou ZFE : avant d’être acceptées par les Lyonnais, ces deux mesures demanderont de la patience. « Il faut anticiper, communiquer, sensibiliser », conclut Olivier Klein. « On ne change pas de pratiques modales aussi facilement. C’est un processus qui prend du temps. »

 

Julia Blachon.

 

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