Faut-il être lyonnais de naissance pour prétendre s’asseoir dans le fauteuil de maire et présider aux destinées de la capitale des Gaules ? Si la question a enflammé la précampagne électorale ces derniers mois, à travers les piques adressées par Jean-Michel Aulas à Grégory Doucet, né à Paris, le débat fut pourtant très nettement tranché par l’histoire. Et notamment à travers l’une de ses plus illustres figures : Édouard Herriot.
Cet article fait partie de notre dossier sur l’héritage d’Édouard Herriot à Lyon
Comme Raymond Barre, Francisque Collomb ou donc Grégory Doucet, le maire emblématique et grand bâtisseur de Lyon n’est pas un gone. Il est né à Troyes, en 1872, et c’est son parcours professionnel d’enseignant, normalien de la rue d’Ulm et agrégé de lettres, qui le conduisit entre Rhône et Saône en 1895, au lycée Ampère.
Là, il rencontre puis épouse la fille du docteur Rebatel, aussi président du conseil général du Rhône. C’est cette union qui précipite l’homme de lettres dans une carrière politique dès 1904, à 32 ans. Et à peine un an plus tard sur le siège de maire.
Il faut dire que les circonstances de son arrivée au pouvoir sont plutôt cocasses : le maire Jean-Victor Augagneur démissionne en 1905 de tous ses mandats pour prendre le poste de gouverneur général de Madagascar. Édouard Herriot, tout jeune conseiller municipal et fraîchement devenu adjoint, se retrouve le 3 novembre 1905 propulsé au poste de maire. Poste qu’il ne lâchera jamais, excepté pendant la Seconde Guerre mondiale durant laquelle il sera fait otage par les Allemands, puis assigné à résidence, et finalement déporté à Potsdam.
Un engagement pour l’école publique
Au-delà de sa longévité, Édouard Herriot a marqué l’histoire de Lyon par de grandes réformes et d’importants travaux. S’il rêve d’une carrière à la Émile Loubet — qui a créé la loi de 1901 pour les associations, la loi sur la séparation de l’Église et de l’État et a signé la grâce de Dreyfus —, Herriot s’illustrera par d’autres actions tout aussi importantes au niveau local.
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En tant qu’enseignant et fervent laïc, il s’oppose à l’enseignement privé. Partisan d’une école gratuite et unique, il était également vent debout contre le financement par le Trésor public des écoles privées. Pendant toutes ses mandatures, il fait construire 10 écoles maternelles et 20 groupes scolaires, 12 crèches municipales, l’école primaire supérieure de filles de la place Morel (Lyon 1er), le lycée du Parc qui ouvrira ses portes en 1919, et l’École de tissage et des industries textiles de Lyon.
Il est aussi un grand défenseur des lycées de jeunes filles et des lycées techniques. Enfin, il met en place dès 1917 les bourses pour les foyers modestes, et permet qu’on offre aux élèves leurs fournitures scolaires.
Fondateur de Grange-Blanche
Très sensible aux questions de santé publique et d’hygiène, Édouard Herriot va lancer de grands projets. Quand il fait construire une salle des fêtes, comme à Vaise ou à la Croix-Rousse, il y fait ajouter des bains-douches. Idem pour la piscine Garibaldi. C’est lui qui commence à faire installer le tout-à-l’égout. Une tâche qui sera terminée sous Francisque Collomb.
Traumatisé par un séjour à l’hôpital, à cause du sentiment d’un manque d’humanité de la part des soignants et de soins « aléatoires » prodigués, Édouard Herriot tenait à offrir aux Lyonnais un hôpital public digne de ce nom.
Ainsi est fondé l’hôpital de Grange-Blanche, inauguré en 1933, connu aujourd’hui sous le nom de son instigateur. Cet humanisme et ce souci des classes moyennes sont des valeurs qu’Herriot va partager avec un jeune architecte, Tony Garnier.
« La rencontre des deux hommes, c’est une espèce de feu d’artifice absolu », raconte Jacques Bruyas, journaliste et auteur d’ouvrages sur Édouard Herriot. « Garnier-Herriot, c’est une fusion qui dépasse le cadre politique. Un duo qui me fait penser à de Gaulle et Malraux. L’homme politique fait entièrement confiance à son binôme. »
Trois décennies de travaux
De 1905 à la fin des années 1930, ils imaginent des projets d’ampleur qui permettront à Lyon de rattraper son retard. « L’échelle des projets est inédite. Jamais on n’a confié au même architecte d’aussi gros projets. Dans ce sens, ils modernisent la ville de Lyon », commente Pierre Gras, docteur en histoire, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon et auteur de Carnets d’architectes – Tony Garnier.
Stade de Gerland, quartier des États-Unis, hôpital de Grange-Blanche, monument aux morts… la liste est longue. Une seule fois, Tony Garnier sera freiné par Édouard Herriot : l’architecte avait dessiné les plans d’un monument aux morts en forme de temple romain. Il devait être érigé à la Croix-Rousse, sur l’esplanade du Gros-Caillou. Trop cher, le projet est abandonné sous cette forme, et finalement, un autre monument est édifié sur l’île aux Cygnes, au parc de la Tête-d’Or.
L’ancien maire de Lyon Édouard Herriot. © Archives municipales de Lyon
« Ce qui caractérise ces projets, c’est qu’ils sont très longs. Bien sûr, la Première Guerre mondiale a rallongé les délais… au point que l’opposition reproche à Herriot des opérations dispendieuses et qui traînent en longueur. Parfois, Herriot aussi s’en plaint, mais il défendra toujours Garnier lors du conseil municipal », continue Pierre Gras.
Maire, sénateur, président du conseil, ministre…
Mais Édouard Herriot ne pouvait pas laisser le monopole de ses projets à Garnier. Certains de ses élèves et disciples se sont ainsi vu confier la construction de l’Hôtel des postes, le Palais de la foire, la Bourse du travail, la salle Rameau, la piscine Garibaldi, le lycée du Parc… et d’autres bâtiments que l’on doit à ce maire visionnaire qui a œuvré pour Lyon jusqu’à son dernier souffle, le 26 mars 1957.
Et cela en cumulant des fonctions nationales d’importance : sénateur en 1912, ministre des Travaux publics en 1916, député de 1919 à sa mort, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts en 1926, président du Conseil des ministres français et ministre des Affaires étrangères en 1932, ministre d’État en 1934, président de la Chambre des députés en 1936, président de l’Assemblée nationale en 1947. Une carrière de cumulard, à laquelle seul le titre de président de la République fait défaut.
Remerciements à Pierre Gras, docteur en histoire, enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon et auteur de Carnets d’architectes – Tony Garnier. Et à Jacques Bruyas, journaliste et écrivain, auteur, entre autres, de Il y a 100 ans… Édouard Herriot.